samedi 1 décembre 2007

La mauvaise odeur

Par Aestus


Bien que l’origine des villes de Bonta et de Brakmar soit encore discutée avec virulence par les historiens d’Amakna, les mythes originels qu’ils proposent et avec lesquels ils se battent s’accordent tous sur un point : les deux gigantesques cités se sont construites l’une par rapport à l’autre. Placées dès le moment de leur création dans cette situation de concurrence extrême (dans les domaines de la guerre, de la réussite économique et des productions artistiques) les deux cités se trouvent incapables de soutenir leurs attitudes conquérantes en ne se basant que sur son propre peuple, parce qu’il est peu important numériquement et qu’il est composé pour 90% de sociopathes hémiplégiques niais. La seule solution qui se présenta à eux était d’attirer les guerriers, les architectes, les capitalistes et les artistes de la grande cité d’Astrub pour leur faire prendre part à la guerre qui secouait (et secoue toujours) l’ouest de la carte.

Les deux cités rivales ont alors dépêché de leurs miliciens, avec l’ordre d’amener dans leurs cités le plus de monde possible, en distribuant sous le nom trompeur de « manuels du milicien », des guides touristiques racoleurs. Dans ceux-ci, on pouvait trouver –entre deux photos de jeunes sacrieuses à moitié nues– des descriptifs glorieux de la taille de ses monuments, de son architecture, de sa morale, de la gloire de son armée, etc.

Or, le célèbre voyageur Iop, Pat Apon, a écrit dans son livre* quelque chose d’équivoque à ce sujet :
« La première chose qui m’a frappé, quand je suis entré à Bonta, c’est le garde à l’entrée. La seconde, au delà de la taille de ses monuments, de son architecture, de sa morale, de la gloire de son armée, etc, c’est la mauvaise odeur qui s’échappait des égouts. Plus tard, quand je visitait Brakmar, je constatait également qu’une mauvaise odeur s’échappait du sous-sol humide pour se répandre dans les rues. »

Ce point, omis des Manuels du Milicien pour des raisons essentiellement touristiques, a présenté longtemps une énigme scientifique, ainsi qu’un enjeu majeur de la guerre qui oppose les deux cités.

*Pat Apon, Récit de voyage d’un sociopathe hémiplégique niais, édité chez Oliof.

Le danger de l’odeur

Un enjeu majeur, tout d’abord, puisque la mauvaise odeur semble être liée à la quatrième cause de mortalité chez les jeunes aventuriers, à savoir la maladie. A noter, les trois premières sont, dans l’ordre : la mort violente par perforation, la mort par section du corps en deux parties distinctes et la mort par rencontre inopinée avec un Trool*.

Les maladies liées à la mauvaise odeur, le grand biologiste Nat Alrach en a diagnostiqué deux. Souvent bénignes, elles pouvaient dans certains cas, entraîner des complications pouvant entraîner la mort du patient.

La première, l’Aëfka, est un disfonctionnement cérébral momentané. Il est diagnostiqué par un regard vide, une absence totale de réactivité et un soudain immobilisme. Bien que la maladie ne pose pas problème la majeure partie du temps, elle est mortelle si elle subvient lors d’un duel contre un Meulou ou contre un groupe de Tofus. Mais on suppose la mort indolore (quoique très comique dans le cas du Tofu).

La seconde, le Lague, est une maladie nerveuse. Ses symptômes sont un allongement du temps de réaction, des tremblements, des tressaillements, des difficultés à parler et une propension relativement grande à pester contre le monde, ses créateurs et les employés de la taverne locale.

Enfin, la Daiquaux est le nom attribué à la mort chimique par complication dues à l’Aëfka ou au Lague. A noter que la mort par Daiquaux est parfois contagieuse, dans le sens ou sans leur allié Eniripsa surpuissant, les compagnons de celui-ci se font généralement défoncer par Marcel le Trool qui après tout, a une famille à nourrir.

*Oui, un Trool, toujours le même. D’ailleurs, il s’appelle
Marcel, il a trente sept ans et il travaille dans le bâtiment, section
climatisation.

Les fausses pistes

Disons-le franchement, sur les très nombreuses pistes qui ont étés explorées dans le domaine de l’odeur, il y en a très peu qui aient abouties. Mais dans un soucis d’objectivité, nous allons les citer tout de même, afin que les lecteurs du Mai’mag ne tombent pas dans des pièges stupides dans lesquels des scientifiques très intelligents sont déjà tombés avant eux.

Les déchets : La première théorie d’un scientifique du nom de Tom Dapi concernait les déchets. C’est en effet la première des interprétations qui vient à l’esprit : après tout, les villes de Bonta et de Brakmar sont de très grande cités à la population très élevée, donc lourdement consommatrice. Or, s’il y a de la consommation, il y a de la production : production et consommation produisent des déchets qui, stockés dans les égouts de la ville, génèrent de l’odeur en pourrissant. Or (et Tom Dapi le reconnaîtra lui-même dans son livre*) cette explication s’épuisait rapidement devant les objections qu’on pouvait lui formuler.
Tout d’abord, si elle se vérifiait à Bonta et à Brakmar, elle devrait se vérifier à Astrub, dont la population est plus nombreuse, plus active et plus confinée. Or, l’infection quand il y en a, provient des cités jumelles par le vent d’Ouest.
Enfin, l’objection qui a mit fin à la théorie est le fait avéré que les déchets n’existent pas dans Amakna. Jamais Amakna n’a connu le moindre déchet, encore moins de déchet odorant. Les déchets de production n’existent pas, puisque tout ce qui est produit entre, à des endroits divers, dans le cycle de création de produits finis. Il n’y a rien ou presque qui soit inutile dans Amakna.

« Quant aux déchets de consommation » explique Nat Alrach, célèbre scientifique spécialisé dans le recyclage, « ils n’existent tout simplement pas. La nourriture se consomme telle qu’elle, sans emballage, sans os, sans quoi que ce soit qui ne soit pas mangeable. Buvez une potion, vous constaterez que la fiole de verre aura également été consommée. Avalée dans le nihil, disparue de la trame de la réalité, incapable, en somme, de polluer les égouts des grandes villes ».

Et s’il resterait un doute à ce sujet, constatez l’efficacité des poubelles d’Astrub : placez dix kamas dedans et patientez une heure : ils auront disparus eux aussi. Doit-on à cela ajouter l’extrême facilité que l’on a à détruire les objets encombrants ? La destruction d’un Chacha (comme c’est cruel) ne produit aucun fantôme comme lorsque la bête meurt de faim (le deuil est ainsi plus facile à faire).
Tom Dapi, après s’être expliqué dans son livre, se donnera la mort par éclatement stomacal à coup de pied-de-biche.

* Tom Dapi, Je ne suis pas vraiment chercheur, édité chez Oliof

Les Bworks : Très récemment, des membres de l’O.C.B (Organisation Contre les Bworks) ont publié une étude accusant les Bworks d’être les auteurs des vagues d’odeur nauséabonde. L’article se concluait d’ailleurs par une demande au Roi l’autorisation d’éradiquer les agressifs habitants des montagnes. Au nom de la préservation de l’écosystème, le Roi refusa : tant qu’il ne serait pas prouvé que les Bworks sont à l’origine du mal, l’O.C.B. n’obtiendrait pas l’autorisation de dépeupler les montagnes.

Malgré un nombre très important de vivisections (trois cent en deux jours) l’O.C.B. n’obtint aucun résultat probant.
L’A.P.D.A.I. (L’Association Pour la Défense de nos Amis Illettrés) les accuse aujourd’hui d’outrepasser leurs droits scientifiques.

L’Emote « oups » : On ne peut pas raisonnablement accuser la fermentation gastriques d’individus peu cultivés comme hypothèse dans le cadre d’une réflexion sur un mal aussi général. En effet, bien qu’il arrive fréquemment qu’un citadin se trouve pris de ballonnements alimentaires, et ressente le besoin pressant d’évacuer bruyamment un trop plein de vapeurs intestinales, il n’en résulte tout au pire qu’une vague odeur que le vent frais dissipe bientôt.

« Même dans l’hypothèse (ne nous cachons pas qu’elle est probable) où toute la cité d’Astrub se mettrait à flattuler à l’unisson, l’odeur émise serait relativement faible » nous explique Nat Alrach, célèbre biologiste expérimental. « Car la nourriture d’Astrub est constituée essentiellement de pain, or le pet-pain ne pose pas problème. »

La vérité est ailleurs

Dans l’état actuel de nos connaissances, l’hypothèse qui fait foi dans les milieux scientifiques est celle de Ted Deuf, qui base son argumentation sur l’étude du système digestif des Tabis. Les Tabis sont des animaux très peu connus des aventuriers, pour la principale raison qu’il sont tout à fait domestiques et qu’il est interdit de les dégommer pour leur viande ou leurs kamas (de fait, leur intérêt est assez réduit). Ces créatures, aux allures de gros tofus, sont entretenus dans les villes de Bonta et de Brakmar à différents endroits clés. Leur vitesse et leur force impressionnante leur permet de porter un cavalier d’un point à un autre de la ville.

L’accent de l’Ouest et la nature de leur activité (c’est à dire le transport de personnel) font qu’on les appelle souvent, par abus de langage, Zaapi au lieu de Tabi.
Or, ces Zaapis à la force et à la vitesse impressionnantes, disposent d’un défaut majeur. Car les dieux sont facétieux et à ce qu’en disent les théologiens, ils ne les aimaient pas (allez savoir pourquoi). Dans l’optique de faire disparaître l’espèce, ils avaient lancé une terrible malédiction sur l’univers.
Les Tabis disposent d’un système digestif spécial, qui fait qu’ils ne sont capables de se nourrir que de trèfles. Or, la mystérieuse disparition des trèfles a trois feuilles (on suppose que c’est un Sram qui les a volés, comme d’habitude) les contraignit à dévorer des trèfles à quatre et à cinq feuilles.
Or –et c’est là toute la subtilité des Dieux, qui prouve définitivement qu’ils sont bien plus malins que nous– le chiffre cinq provoque des ballonnements intestinaux que l’on nomme « Pandritra » dans les lointaines contrées de l’Est. Et les trèfles à quatre feuilles étant d’une rareté extrême, les Tabis sont contraint de ne brouter que des trèfles à cinq feuilles et donc, de vivre dans un état maladif constant, à évacuer un trop plein de matière sous forme de gaz et ainsi de polluer l’air des grandes villes.

Cette théorie explique également pourquoi les Tabis courent si vite et pourquoi les Bouftous, eux aussi, sentent si mauvais.


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