dimanche 6 décembre 2009

A Durhian

Il est grand temps aujourd’hui de s’atteler à raconter une histoire d’amour qui se passe pour le mieux du monde. Un peu de bonheur, d’espoir, de joie enfin ! Un peu de rêve, d’aventure, d’histoire qui réchauffe le coeur, qui nous fait dire que tout ne va pas si mal.

Pour le reste, il y en a bien assez comme ça toute la journée autour de nous.

Cette histoire est la mienne. Je vis avec un homme depuis quelques temps que j’adore. Je précise que je suis une femme, une vrai de vrai, parfois chieuse (la seule chose qui me sauve est que j’en suis consciente et que je fais des efforts), romantique à souhait, peu coquette par contre, peu sûre d’elle aussi. Pas très agréable physiquement, plutôt intelligente, très ouverte, voila en quelques mots les caractéristiques qui me décrivent le mieux.

Mon homme c’est Dhurian. Nous nous sommes rencontrés à travers une passion commune, l’élevage, et nous sommes rapprochés peu à peu, jusqu’à ce que le « peu à peu » nous lie définitivement.
Je pense que c’est moi qui ai craqué la première.

Dhurian sans être un « beau gosse » a un physique agréable, est très intelligent, timide – juste assez pour faire craquer une fille mais pas trop pour tenir son rôle d’homme-, passionné, et déborde d’idées et d’imagination. Il est doux, tendre, pas nerveux, dit ce qu’il a à dire mais toujours de manière réfléchie, sans hausser le ton inutilement. J’appelle ça « une force tranquille », et c’est ça qui me rend dingue de lui. Il a des gouts et des loisirs assez semblables aux miens, ce qui nous rapproche davantage. C’était tout à fait le gendre d’homme que je recherchais depuis si longtemps. J’en étais rendue à me dire que je ne le rencontrerai jamais, et pourtant, j’ai eu ma chance. Et je ne l’ai pas laissée passer !

Je suis bien avec lui. Nous sommes toujours ensembles, faisons tout à deux, avons toujours un tas de trucs à nous dire. Mais je suis vigilante : je luis laisse sa liberté, je ne veux pas l’étouffer, même si une seconde sans lui est une seconde de perdue pour moi, pendant laquelle *forcement* rien de bien n’arrivera.

Mais j’ai lu au temple Eniripsa, chez les médecins, tous ces magazines pseudo-féminins qui prétendent que les hommes reprochent eux femmes leur manque de liberté. Je laisse donc à Dhurian tout le loisir de passer ses soirées où bon lui semble, au cas où ces magazines débiles auraient raison…

Et je me garde bien de lui dire que j’aimerais éperdument que ces soirées là, il les passe avec moi.

Mais place au Boufball, aux potes, aux chansons ou blagues grasses, aux raids agressifs sur la cité ennemie, aux bières et alcool coulant à flots. Il revient bourré ? Tant pis, tant qu’il ne salit pas trop les toilettes. Un mal au crâne le lendemain ? « Bien fait ! t’avais qu’à pas tant boire, t’avais qu’à pas y aller, gna gna gna… »

Non non, pas de ça justement. Enfin je le pense, mais surtout je le garde pour moi, d’autant plus s’il n’est pas dans son assiette. Je m’occupe de lui, le bichonne ou le laisse tranquille selon son souhait. C’est fou comme on devient sympa quand on est raide dingue de quelqu’un. Messieurs si vos nanas sont chiantes, c’est peut-être aussi parce qu’elles ne sont pas amoureuses en fait hein ? Mais non allez je plaisante !

Je ne refuse d’ailleurs presque jamais une invitation à ces soirées entre mecs où j’ai obtenu mon laissez-passer. Parfois je suis vraiment fatiguée, auquel cas il y va sans moi. Parfois il ne m’invite pas. Mais j’y vais le plus souvent, je m’intéresse à son monde à lui. Tout ça fait partie de lui, et me plait donc par définition. Il pourrait bouffer de la merde que ça me plairait de toute façon. Et j’apprends à aimer son univers, qui se révèle sympa contre toute attente. J’apprends même à apprécier les raids sauvages contre Bonta (oui nous sommes brakmariens), c’est pour dire ! Moi qui suis tout le contraire d’une fille agressive, j’aime me battre à ses côtés. Enfin soigner surtout, prendre soin de lui. Je connais toutes les règles du Boufball, et de toute façon j’aime tellement le sport que même le Bouf ne me dérange pas.
Donc je finis par regarder tous les matchs. Pour le moment j’échappe au stade, mais s’il le faut, je m’y mettrai aussi. J’ai juste la trouille des bagarres dans le stade, mais en y réfléchissant, cela me une raison de plus pour me blottir contre lui.

[Lui aussi fait le même effort, passe des heures avec moi dans les lieux pour pleurnicheuses romantiques (vous savez par exemple, la petite cascade du côté de la montagne des craqueleurs…). Il m’aide même aux enclos, et pourtant bizarrement c’est le seul moment où j’aimerais qu’il ne vienne pas, c’est un peu mon moment à moi, le moment ou je prends soin de mes « filles », de mes petites dindes, c’est mon jardin secret. Pourtant il ne loupe pas une fécondation ni une naissance !

Pour rentrer le soir à la maison, j’ai pas mal de trajet à faire, car mon lieu de travail se trouve au village des éleveurs à Otomai, et nous habitons au château. Je me dépêche d’aller à l’embarcadère pour prendre le bateau qui me ramène à Amakna , car nous nous retrouvons toujours sur place : facile, je prends toujours le même navire. On ne se parle pas forcément, et de toute façon il y a du monde et du bruit, ce n’est pas pratique. Mais il est là, et c’est ce qui compte. Même quand je ferme les yeux je le vois, je pense à lui tout le temps.

Bref, je ne vais pas écrire quinze pages pour dire que j’en suis raide dingue. Je n’écrirai pas non plus des centaines de lignes pour dire que c’est un sentiment qui certes me rend heureuse, mais qui m’effraye. Je connais bien les statistiques de ces magazines à la noix, vous savez, les mêmes que ceux cités plus haut, qui vous disent que 2 couples sur 3 divorcent, qu’on rencontre plein de monde ailleurs, et patati et patata. Magazines de merde écrits par des rédacteurs en chef en mal de passion qui cherchent à se rassurer en se disant qu’ils ne sont pas les seuls.

Foutez nous la paix avec vos magazines qui donnent des recettes du bonheur comme on écrirait des recettes de cuisine.

D’ailleurs, ces torchons ne passent pas l’entrée de chez moi, ça jamais ! Je préfère de loin les torchons de Brakmar qui prétendent à grand renfort de titres aguicheurs que le monde va s’effondrer si on ne bousille pas la moitié de la population bontarienne au plus vite.

Pour en revenir à Dhurian c’est sur que j’ai peur. Inutile de dire tout ce dont j’ai peur, la liste est bien trop longue. Mais si je devais résumer, je dirais que j’ai peur de ne pas être assez bien pour lui tout simplement. Je me vois bien dans un miroir : je ne suis pas jolie, je suis intelligente, certes, mais cela va-t-il suffire ? J’ai même peu d’avoir peur, car ces sentiments, même si je tente par tous les moyens de les cacher, transgresseront bientôt mes barrières de protection à un moment ou un autre, et se dévoilent au grand jour. La preuve, je les couche sur papier en ce moment même.

J’ai peur qu’il me quitte aussi, conséquence logique des quelques phrases du dessus. Je vous épargne le classique « je ne vivrai pas sans lui », éternelles phrases toutes faites qui n’ont aucun sens si on ne va pas au bout de ses idées. N’empêche que ce serait le drame. Oh si ça se produit, je n’irai pas au suicide, je n’irai pas non plus jusqu’à lui gâcher sa vie, genre lui jouer un remake des liaisons dangereuses. Non merci, ce n’est pas mon style.

Non moi je souffre en silence. Je suis très bonne comédienne, je ne sais même pas si mon entourage s’en rendrait compte. Peut-être tout au plus me verrait-on manger moins, signe annonciateur d’un pseudo régime pour garder une belle ligne.

Mais la souffrance silencieuse ronge, et détruit tout sur son passage, peu à peu. On n’exprime rien, on ne libère rien, on vivote tant bien que mal mais on ne s’en remet jamais. Pas d’éclats de larmes, pas de grands gestes désespérés. La vie est juste un peu plus fade chaque jour. Les gestes prennent de moins en moins de signification, les odeurs ne sentent plus rien, les couleurs sont pâles, les doux desserts sucrés sans saveur. Mais on continue à sourire, voire à rire même, histoire de rester sociable.

Enfin voila, tout ça pour dire que je pense à lui en permanence. Il est partout, je n’ai pas une seconde de répit. En tout cas, il est avec moi, et j’en profite. Puis si ça se trouve, je lui plais aussi beaucoup, en tout cas il évoque souvent le mot « harmonie » en parlant de nous. Rien que la consonance du mot raisonne comme un doux murmure pour moi.

Mais cette harmonie connait quelques heurts malgré tout. L’autre jour par exemple, je lui ai posé une question, et il m’a répondu froidement. J’ai eu l’impression d’avoir été taclée à la cheville et d’être tombée lourdement. Quand j’ai entendu sa réponse j’ai eu froid d’un coup. Je me suis arrêtée de respirer. J’ai eu une drôle de sensation à l’estomac, comme quand on monte une dragodinde qui s’affole et nous remue dans tous les sens.
Là je peux dire que j’ai eu peur. La véritable peur, de celle qui empêche de penser et de réfléchir. Je n’ai pas insisté, pour ne pas lui déplaire. Pour lui cet « incident » a du passer totalement inaperçu, mais pour moi il a déclenché une peur irrationnelle.

J’emploie le terme « irrationnel » car à la réflexion, cette peur n’a pas lieu d’être. Rien ne m’est arrivé, je ne suis pas en danger, pas de quoi s’étouffer parce que son homme a eu un instant de distance. Pourtant j’ai bien éprouvé un réel malaise. Mais il faut le taire à tout prix, faire en sorte que tout ça soit enfoui et ne plus y penser. Il y en a des choses d’ailleurs d’enfouies bien profond, vous n’imaginez même pas. Certains disent que tout ressort un jour. Si c’est le cas, pour moi l’addition sera lourde ce jour là. Moi je n’y crois pas, je pense qu’avec de la volonté, tout peut rester enterré pour toujours. Cela réclame juste un peu de discipline, mais c’est possible.

17h30. Je quitte mon enclos dans une demi-heure. J’ai tellement pensé à Dhurian toute la sainte journée que j’ai fait n’importe quoi : baffeurs à la place de caresseurs, des dindes non matures, et d’ailleurs je ne me souviens même plus si je les ai nourries….

Je vais encore me dépêcher de parcourir les quelques mètres qui me séparent du bateau ou je vais retrouver Dhurian. Je vais lui sourire, ne rien dire, fermer les yeux et penser à lui. Il m’accompagnera à la maison, rentrera avec moi. Nous dinerons, et ferons je- sais pas- quoi ce soir. Lire probablement. Regarder un match de Bouf au château peut-être aussi. Après nous irons nous coucher, s’il se passe quelque chose vous n’en saurez pas plus, mais quoiqu’il en soit je me blottirai dans ses bras et m’inonderait de sa chaleur.

Voila, récit banal d’une vie banale d’une personne banale.

Mais je l’aime ma vie comme ça, jour après jour. Elle me plait, je suis heureuse.

C’est juste qu’il faut je prenne un soin particulier à ne pas m’arracher à mes rêves. Parcourir très vite la distance qui sépare du navire pour s’asseoir et fermer les yeux le plus vite possible. C’est toujours un grand moment de soulagement pour moi, car il est bel et bien présent, à mes côtés. Lui parler en permanence et tout lui raconter, surtout le soir quand on rentre du boulot. Arriver à se concentrer sur son travail tout en gardant une pensée pour lui. Regarder les matchs de Boufball, car là je sais qu’il est présent. Faire la cuisine et les courses pour deux.

Oui il faut arriver à faire tout ça, sinon il part. Je sais que si je ne parviens pas à ces exercices quotidiens, il n’est plus là. Et quand il n’est plus là, je suis mal. Ce fameux mal enfoui, qui n’est censé jamais ne ressortir, et que Dhurian est en train de faire remonter à la surface inexorablement. C’est ça mon boulot à moi. C’est aussi mon pouvoir : faire en sorte qu’il soit toujours près de moi et pour toujours.

Pour le moment il est probablement auprès de sa femme et ne pense pas une seconde à mon insignifiante et pathétique existence.

Peu importe, moi je rêve. Et dans mon monde imaginaire, il ne me quitte plus. Dans mon monde, il n'est pas marié, et vit avec moi. Dans mon monde j'ai osé lui dire que je l'aimais. Dans mon monde il m'aime aussi.

Dans le votre il m'ignore, tout au plus sait-il que j'existe, au mieux m'apprécie t-il juste un peu.

Alors gardez-le votre monde pourri, j'en veux pas.

Inutile de me dire que tous ces rêves ne sont que des fantasmes, qu'il faut reprendre pied et revenir à la réalité, que des hommes il y en a d'autres; je le sais tout ça…Je me rends bien compte que je suis folle, dans les rares moments ou je suis soustraite à mes rêves, ces rares moments au cours desquels la conscience me crache au visage une réalité sans lui.

Tout ce qui compte est que je ne perde pas la connexion avec lui, à aucune moment, jamais.

Elle me plait cette vie, je suis heureuse.

Enfin je crois...

Jean-Reveu

1 commentaire:

Julien a dit…

Pffiou chapeau chapeau je trouve que c'est drôlement bien écrit, j'ai été tout de suite prit dans l'histoire, et cette fin (inattendu)... Juste ce qui fallait :). Vivement une autre de ce style, elles sont rares dans le magazine !
Au pasage felicitation pour l'animation et la production.
Bon courage !