dimanche 6 décembre 2009

Histoire d’Argath : la malédiction des terres glacées

Partie I : l’étoffe d’Isaël

« Venez, regardez donc, approchez vous, admirez les magnifiques étoffes nouvellement arrivées ! » harangua un commerçant au détour d’une ruelle.
« Par ici, par ici ! Des milliers d’étoffes Firefoux pas chères !! » Hurlait- un autre

C’est jour de la célèbre foire aux étoffes aujourd’hui à Argath. La foule est au rendez-vous, les ruelles sont quasiment impraticables. Tandis que je me promène et jette vaguement un coup d’œil aux étalages des marchands, mon regard est attiré par une magnifique pièce, l’étoffe du Maître Pandore. Son propriétaire, ayant compris mon intérêt, sort de derrière son étalage et s’avance vers moi.
« Mon ptit m’sieur, ça c’est d’la belle, de la pure étoffe de Maître Pandore ! Il s’insèrera divinement bien dans votre anneau. Je vous en fais un bon prix ! »
« Dites pour voir ? »
« A peine 5 petits millions de kamas petit !! Et puisque vous êtes jeune, je vous la cède à 4.5 millions, mais uniquement pour vous !! »
Je lui souris et fit mine de reprendre ma route
« Attendez mon ptit m’sieur, 4 millions, mais pas plus bas hein!! »
« Non merci, je n’ai pas les moyens, au revoir Monsieur ! » Et je poursuivis ma route

Tout en marchant, je songeais : 4 millions… sale voleur, profiteur, radin… A croire que la leçon ne leur a pas servi…

La malédiction d’Isael

Autrefois, il y a fort longtemps, naquit Isaël, disciple de Iop.
Jeune, courageux, robuste, il vivait isolé avec sa mère dans le dénuement le plus total, quelque part à dans les grands champs de la bourgade de Bremingan. Pauvres mais heureux, tous deux cultivaient et vendaient de la laine pour subsister. Mais un jour la vieille femme tomba malade et mourut. Isaël se retrouva seul, quitta sa cabane et décida de tenter sa chance en tant que vendeur de laine à Argath.

Nous nous situons sous une ère prospère pour la grande cité d’Argath, bien avant l’époque des guères opposant bontariens et brakmariens. Les Dieux avaient doté la cité d’Argath, dite « la Grande » d’abondantes ressources. L’ordre de la Hanse d’Argent venait tout juste d’être crée et y régnait en maître. Des milliers de pauvres pécheurs affluaient à la recherche de poissons rares. Puis ce fut au tour des tailleurs, des boulangers, et en fin de compte, des artisans de toute sorte de venir s’y installer et faire fortune. De somptueux navires des ports du monde entier ne manquaient jamais d’accoster ici. Les Dieux favorisaient largement la prospérité de la Grande, mais avaient émis une condition, une seule, aux habitants : que personne, même étranger, ne connaisse la misère.

Seulement voilà… quelques générations plus tard, ce « petit » détail fut oublié.

Après des semaines de marche harassante, Isaël parvint enfin aux portes de la Cité. Empli d’espoir, de courage et de rêves, il espérait bien y faire sa place et fonder une famille. Cependant, il fut rapidement rattrapé par les tristes réalités.
Les Habitants d’Argath étaient obnubilés par le profit et la puissance. L’argent coulait à flots, les conflits faisaient rage, les guères menaçaient d’éclater à tout moment. Loin d’être un rêve, la Grande était une prison dorée, repliée sur sa haine, son orgueil et sa soif de pouvoir.

Isaël parvint néanmoins à vendre quelques laines, assez pour prendre un repas quotidien, mais pas suffisamment pour trouver une habitation, même modeste. Il dormait donc le plus souvent sous un vieux pont.

Une année, Argath connut un hiver particulièrement rigoureux. La neige abondait, et les températures chutaient de manière vertigineuse. La nuit, Isaël affrontait un froid glacial, humide, qui pénétrait la moindre parcelle de son corps et lui coupait le souffle. Le quatrième jour, il tomba gravement malade, prit d’une forte fièvre. Il sentait peu à peu ses dernières forces l’abandonner.
Il était certain de mourir de froid très prochainement. Mais sa volonté de vivre prit l’ascendant. Muni de tout le courage dont il disposait encore, Isaël décida de demander la charité aux habitants. Il se leva, et se dirigea vers les luxurieuses maisons qui trônaient au centre de la Cité. « Il y aura bien quelqu’un pour m’offrir l’hospitalité, un repas ou ne serait-ce qu’une étoffe pour me tenir chaud » espérait-il. Malgré la honte qui le submergeait, il n’avait pas d’autre choix que de tenter sa chance.

Il tambourina la porte d’une première maison et attendit. La porte s’ouvrit, faisant place à un marchand richement vêtu.

« S’il vous plait monsieur, commença Isael, je n’ai rien mangé depuis 2 jours et je ne sais pas où dormir. Si vous pouviez m’offrir un repas, ou ne serait-ce qu’une étoffe pour me réchauffer… il fait si froid, si froid…. »
Isaël s’emmitoufla avec ses quelques loques.
« Par pitié », ses lèvres avaient peine à s’entrouvrir « aidez-moi »
Le visage du marchand se tordit de rage
« Quelle honte ! Des mendiants à Argath !! Et l’Ordre de la Hanse d’Argent qui ne fait rien ! ». Il claqua la porte.

Déçu, Isaël tenta une seconde fois sa chance. Cette fois, ce fut une jeune femme qui ouvrit.
« C ‘est pour quoi ? » demanda t-elle
« Je vous en prie, Madame, j’ai tellement froid, je cherche un peu de nourriture, un coin chaud ou une étoffe pour me couvrir »
« Une étoffe, et quoi encore ! Comment osez-vous importuner d’honnêtes gens ! Dehors ! »
« Oh madame, je vous en …. »
La porte se referma violemment.
Isaël poursuivit ses efforts.
« Une étoffe ! lui répondit-on plus loin, vous avez une idée du prix ? Allez donc travailler ! »
« Mais je trav… ».
Vlan ! Encore le bruit d’une porte qui se referme…

Las, Isael s’assit un moment.
Les bruits devenaient sourds. Ni la faim ni le froid ne se faisait plus sentir. Il ressentait maintenant une bienfaitrice envie de dormir, d’un repos réparateur et éternel.

Exténué, il ferma les yeux, et se sentit partir, loin.. loin….

Puis il entendit une voix au plus profond de son âme : « Par l’avarice des hommes, ton heure est bientôt venue Isael »

Puisant dans ses dernières forces, Isael reprit conscience. Cette voix lui était familière, lui rappelant une bienfaisante douceur protectrice. Cette voix était également celle qu’il entendait lors de ses nombreuses prières au temple de son Dieu.
« Iop ??? »Isaël ouvrit les yeux mais ne vit personne.
« Ils sont oublié Isael. Eux ont oublié, mais moi non. Tu vas mourir de froid Isael, mais j’ai encore besoin de toi. Par ta voix seront relayées ma justice et ma colère. Tu dois leur dire Isael, tu dois leur rappeler leur promesse et leur fourberie. Il est grand temps que le peuple paye ses dettes. »
« Mais je leur dis quoi ? je n’ai plus de force.. pitié, laissez moi m’en aller.. »
« Lève-toi ! » Commanda la voix. « Je parlerai à travers toi, debout ! ».

Alors Isaêl se leva, se dirigea vers la place principale, et harangua la foule.

« Je vais mourir de froid ce soir ! N’y a t-il personne pour m’aider ? Vous vendez des milliers d’étoffes et n’avez pas le cœur d’en offrir une ? »

Les habitants, intrigués, sortirent de chez eux.
"Que l'on fasse taire ce mendiant" criait l’un.
« Chassez-le de la Cité » fit échos un second.

«Vous avez oublié la condition ! Vous trahissez les Dieux qui vous ont couvert de richesses ! »

« La condition ? Un conte pour enfants » hurla une femme. « Vous comptez nous faire peur avec ça ! Pauvre imbécile ».

La foule éclata de rire

Isaël poursuivit : « Marchands sans pitié, vous avez sombré dans l’avarice. Les Dieux ne l’entendent pas ainsi ! Vous ne savez pas ce que c’est d’avoir si froid ! Oh non vous ne savez pas ! Mais un jour vous apprendrez, ça oui, Iop vous le dit. Il est temps de régler les comptes avec vos Dieux. »


« Hahaha et toi tu vas savoir ce que c’est que de ternir la réputation d’Argath ! T’as faim ? Tiens prend ça, chien ! ». La femme qui venait de parler jeta un bout de pain rassis à la tête du jeune homme. Puis des cailloux furent lancés dans sa direction.

Imperturbable Isaël continua :

« Que le froid recouvre Argath pour l’éternité ! Que la glace recouvre les maisons, que les habitants restent emprisonnés chez eux ! Que les ponts soient détruits, que la mer aux abords de la Cité soit déchaînée ! Seuls, isolés à jamais vous resterez ! Et priez pour qu’un étranger vous donne une étoffe, car ce jour là, et seulement ce jour là, la malédiction sera levée !

Isaël à bout de force, s’arrêta, tituba un peu, s’écroula et ne se releva jamais plus. Il mourut de froid.

Les Dieux n’oublient jamais.. .
Le lendemain, les marchands étrangers, déjà en route vers la Grande, furent très surpris de devoir traverser des plaines peuplées de Gelées. Malgré tout, parvenus jusqu’à la cité, ils ne purent atteindre les lourdes portes. Les ponts avaient disparu. Ils découvrirent un autre spectacle, médusés : au loin ils aperçurent les toits des maisons recouverts de glace. Et loin d’entendre le brouhaha habituel, un silence assourdissant régnait sur la ville. Les ruelles étaient recouvertes d’un épais manteau neigeux, la mer aux abords de la grande était en furie. Ils firent demi-tour.

La nouvelle se répandit vite et depuis, et même après des dizaines d’années, plus un étranger n’entreprit le voyage vers Argath.

Jean Reveu

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