lundi 22 juin 2009

L’Aurore Pourpre selon Trom Lavar, IVe partie

Dernier acte de la tragédie.

Je dégageais les cadavres sur mon chemin pour rejoindre l’état major.
Je voyais de loin Hyrkul faire de grands gestes alors que les généraux reculaient craintivement tout en objectant. J’arrivais à portée de voix pour comprendre que les généraux tentaient vainement de négocier une pause pour l’armée alors qu’Hyrkul voulait charger Bonta de suite. Je relevais mes manches et entrais dans la dispute. Après une demi heure de discussion, d’esquive de coups d’épée et de crainte, nous réussîmes à faire comprendre à notre chef que la pause s’imposait après ce combat. Et retournant à mon manipule, je constatais que je tremblais comme une feuille.. Dire qu’il n’avait fait que hausser le ton…

Je retrouvais mes gars en train de panser les plaies et de nettoyer le sol, récupérant armes, vivres et matériels divers. Je m’épongeais le visage en soupirant, retirant par la même occasion cette odeur et ce goût de sang qui souillaient mes sens. L’euphorie avait eu le temps de tomber, laissant place à une fatigue extrême. Je me laissais aller aux souvenirs lorsqu’un murmure étonné se leva dans les rangs. La brume nocturne commençait à se lever, sans pour autant voir le Soleil apparaître. Mais l’horizon dégagé et la sombre clarté de la Lune nous permettaient désormais de voir les blancs murs de Bonta.

De là où on était, cela ressemblait à une citadelle inexpugnable barrant le paysage de son insupportable puissance. A l’autre bout du camp, Hyrkul écumait. Il ne pouvait voir ces murs sans enrager.
-Au diable les faibles, je veux que la route soit reprise dans une demi heure !
Je soupirais et m’adressais à mon manipule.
-Sortez vos pics, les blessés en queue de colonnes. Et n’oubliez pas, rangez
vous toujours derrière vos boucliers et ne rompez jamais les rangs. Il y va de la survie de tous. A ce stade, il nous faut vaincre, ou mourir.

Mes gars commencèrent à sortir de multiples bouts de bambous qui, assemblés bout à bout, formaient de longs pics pouvant atteindre trois mètres de haut. Parfait pour épingler des archers sortant un peu trop de leurs créneaux, ou pour atteindre une meurtrière.
Mon manipule était parfaitement prêt lorsque retentirent les tambours de la guerre, marquant la mise en route. Nous approchions de ces murs qui semblaient à chaque pas plus grands, plus forts. Plus invincibles.
Les tambours accélérèrent en même temps que mes battements de cœur.

-BOUCLIERS !

D’un geste, les rangs se couvrirent d’un noir manteau de métal. Je me félicitais de mon ordre, car quelques secondes après la mise au pas de charge, on entendait le sifflement caractéristique des flèches fendant l’air. Projectiles qui ricochèrent inutilement sur les boucliers fermement tenus. La marée avançait.

Ça et là, des flèches passaient dans des failles de la défense, et un homme tombait à terre, immédiatement remplacé par un autre. Ces sifflements mettaient nos sens et nos nerfs à rude épreuve, aussi nous fûmes presque contents d’arriver au pied de la muraille. Je constatais avec soulagement que peu d’hommes avaient succombé au déluge de flèches. Bientôt, les arcs et arbalètes brâkmariennes se mirent à siffler à leur tour, et la vermine se mit à tomber de ses murailles. Les hurlements, tantôt de douleur, tantôt de rage, provenaient de partout. Il n’était pas rare de voir la personnes à côté de soi s’affaler, percée par un trait invisible dans la pénombre.

N’étant pas protégés par de larges boucliers, ce furent les défenseurs qui subirent le plus de pertes dans cet échange de tirs. Une fois cela compris, la zone de combat se calma peu à peu. La muraille est passa des bruits de combat à un insupportable silence mortuaire. Chacun scrutait l’autre, non sans prudence. On voyait des ombres se profiler derrière les créneaux alors qu’eux devinaient quelques mouvements derrière nos boucliers. Mais il n’y avait plus de prises de risque inconsidérées. Et les seuls bruits qu’on entendait, étaient ceux venant de l’est, là où Hyrkul et ses monstres tapaient sur la porte pour la défoncer, alors qu’ils étaient couverts par le gros des troupes.

Et à cet endroit là, la terre de Cania était tellement abreuvée de sang, qu’elle en était à rougir. Les plantes se mouraient en même temps que les hommes. Nous ne savions que faire dans cette immobilité et ce silence. L’inactivité devant tout ce danger allait me rendre fou.

Autour de moi, les réactions étaient diverses. Certains de mes gars avaient sorti des torches et des cartes. D’autres priaient. Certains se racontaient des blagues. Tout ça dans l’illusion de pouvoir détendre l’atmosphère. Moi, je jetais un regard nostalgique en arrière, vers Sidimote, lorsque mes yeux s’arrondirent. A l’endroit de l’avant poste que nous avions attaqué, je voyais une silhouette. Elle faisait deux mètres et semblait flotter à la surface du sol. Je vis cette ombre se pencher, et ramasser un objet qu’elle regarda longuement.

-Vous pensez que c’est quoi chef ?

Je ne répondis pas, trop peu sûr de moi. L’ombre regarda ensuite le ciel, puis disparut.
Mon étonnement laissa place à un sursaut lorsque j’entendis un craquement sec, ressemblant plus à un gémissement boisé. La porte de Bonta commençait à céder, et les frondaisons même des murs environnants tremblaient sous les coup d’Hyrkul et des trolls qui commençaient à rire.
Soudain, une légère brise se leva. Hyrkul se stoppa net dans ses coups, et tendit l’oreille, comme nous tous. Nous entendions des bribes de paroles apportées par le vent. Un langage inconnu dans lequel nous décelions de grandes puissances. Un des soldats pointa du doigt un point au sud en criant.

-Regardez !

Sur un éperon rocheux, on distinguait de nouveau cette silhouette. Le son de ses incantations augmentaient, alors qu’il levait un objet de forme ovale. Un unique éclair zébra le ciel, illuminant la scène. Je sentis l’air partir de mes poumons en identifiant cette silhouette. C’était Raval en personne. Et il tenait dans la main la tête sanguinolente de Menalt. Une peur irrationnelle s’empara de moi alors que mes hommes s’enhardissaient. J’étais à plusieurs toises de lui, pourtant je sentais l’aveugle regard de mon maître se tourner vers moi. Soudain, je me vis en plein cœur de la bataille, menant mes hommes contre le flanc de notre propre armée. Il était évident que mes gars avaient vu la même chose. Le doute s’empara de moi alors que mon cerveau fonctionnait à toute vitesse. Mais cela ne dura pas longtemps. Mes réflexions furent interrompues par un tonnerre que je connaissais maintenant assez bien.

Je me retournais en tremblant, pour voir l’Ordre du tonnerre foncer droit sur les arrières, centaures et chevaliers réunis, relevés de la mort par Raval. Le choc se fit au centre de l’armée tel que nous fûmes épargnés par cette charge ô combien mortelle. L’armée n’était que confusion, mais elle commençait à se retourner contre ses nouveaux ennemis au teint trop pâle pour être entièrement vivants.

Je sortais mon sabre et décidais de suivre mon maître. Quitte à perdre la vie, au moins, ce serait honorable. J’avançais vers ces montres impressionnants. N’ayant ni peur, ni rage. Je ne pensais pas spécialement en ressortir vivant, mais je me laissais guider par la confiance aveugle qui m’habitait désormais. A mon grand étonnement, mes hommes se levèrent comme un seul après moi, et bientôt les longs pics rentrèrent dans les flancs des monstres de Rushu. Nous commencions à peine le combat qu’un nouveau grincement se fit entendre. La porte était tombée, mais pas de notre fait. Et au lieu d’y voir pénétrer la sombre marée, ce furent des miliciens enragés que l’on vit enfoncer les rang brâkmariens. Une clameur de rage monta dans la cité alors qu’Hyrkul tentait tant bien que mal de se frayer un chemin pour sortir de la mêlée. La confusion n’en fut que renforcée. Nul ne savait où donner de la tête. Et les tirs bontariens comme brâkmariens fendaient l’air de manière aléatoire, ne sachant plus vraiment sur quoi tirer, traduisant l'état de pensée de tous les hommes, moi compris.

Le combat ne dura pas. Après une heure de siège, il suffit de dix minutes pour que l’armada brâkmarienne soit mise en déroute, puisque attaquée sur trois côtés, et complètement apeurée par la fuite de son chef.

Sur les murailles, une nouvelle clameur monta. Et un soulagement se fit sentir dans ma troupe. A l’Est, l’aube se levait, aussi rouge que les plaines de Cania après cette boucherie. Septange arrivait Lorsque le combat se terminait et que les archers bontariens commençaient à se demander quoi faire de cette colonne d’hommes restante. Je jugeais bon de prendre la fuite à travers Cania avec mes hommes. Les relevés de l’Ordre du Tonnerre se mirent devant nous, bloquant le passage aux miliciens, puis après quelques minutes, s’effondrèrent de nouveau, retournant à la mort.

Durant ce temps, nous avions déjà pris le pas de course, et disparaissions à l’horizon encore sombre.

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