Chapitre 2
J’ai 29 ans.
Ce soir je fête mes 30 ans. Aie, ça y est, la dizaine va être franchie, j’angoisse un peu… Angoisse purement symbolique d’ailleurs, car je ne vais pas me réveiller demain matin pleine de rides et de cheveux blancs.
Mais j’ai beau le savoir, j’avoue que ce cap me dérange. Et l’une des raisons est cette fameuse horloge biologique qui tourne, annonçant l’inexorable moment ou vous ne pourrez plus avoir d’enfants, sans que cela ne représente un réel danger.
Mais bon, raisonnons-nous, même à 30 ans, j’ai encore pas mal de temps pour penser aux enfants.
D’autant plus que… j’ai trouvé mon homme ! Ouaip, je sais, j’ai du bol, j’ai trouvé le bon !! Héhé !
Il s’appelle Thorkan, est intelligent, imaginatif, adorable, patient, ce qui est bien nécessaire avec moi d’ailleurs. J’adore son physique aussi, légèrement enrobé, c’est tout doux au toucher. Et en plus, comme ça, il ne peut rien dire si je prends quelques kilos, héhé ^^
Il ne se voit pas encore père, ce qui ne me dérange pas encore, je lui laisse le temps de s’habituer à cette idée. Bien entendu je lui ai parlé de mon désir d’enfant, mais sans le presser. Inutile de lui faire peur, je laisse l’idée faire son chemin dans son esprit.
On s’entend bien, nous aimons les mêmes choses, nous sommes sur la même longueur d’ondes, malgré les orages. Mais ces orages ne me font pas peur, car ni lui ni moi ne haussons le ton. Je déteste les gens qui s’expriment en hurlant. Lui non, il dit ce qu’il a à dire, mais sans violence. Alors bon, je fais un peu la tête, mais nous finissons vite par en rire.
Ce soir, nous fêtons mes 30 ans, avec tous nos amis. Enfin du moins les siens, je n’en ai pas tant que ça de mon côté. La disparition précoce de mes parents m’a quelque peu enfermée dans une certaine solitude.
Mais j’aime bien ses amis, ils sont sympas. Et tant pis pour moi si à chacune de leur visite, tous nos stocks de nourriture et de boisson (surtout ?) y passent. Enfin au moins on s’éclate bien.
Ah, voilà, ça toque.
La porte s’ouvre.
Nos amis entrent *pas vraiment discrètement* en braillant un « JOYEUX ANNIVERSAAAAAAAAAAAAIIIREEE » mi hurlé-mi chanté, et en me tendant un immense –et magnifique !- bouquet de fleurs.
Thorkan se précipite vers eux pour les accueillir, et moi je suis assaillie de gens essayant d’atteindre mes joues pour me coller des bises.
Des « joyeux anniversaires, alors ça y est t’es vieille, ça fait quoi d’avoir 30 ans ?… », j’en ai entendu au moins 100 fois en quelques secondes. Sachant qu’ils sont une vingtaine, ça fait 5 fois chacun en moyenne. Et à la réflexion, je n’exagère même pas !
Allez hop, on stoppe les embrassades, c’est pas tout, mais j’ai faim et soif, et la bonne humeur de cette populace fraichement débarquée me contamine.
Je vous passe les blagues salaces, les chansons cochonnes, les anecdotes entendues au moins 1 000 fois – et à raison de 20 personnes, comptez vous-même la moyenne- mais toujours très drôles, les verres cassés…
Je vous passe le nombre de fois ou Thorkan s’est levé pour aller chercher des bouteilles. On nous aurait surnommé les « entonnoirs » ce soir, ça ne m’aurait pas étonnée.
Quelle fête géniale ! Mais je ne dis pas cela uniquement à cause de l’alcool hein^^
Bon c’est pas tout, mais il est 4h du mat’. Certains resteront chez nous pour coucher, d’autres n’habitent pas très loin et ne risquent rien, selon notre jugement *très* avisé à cet instant précis. Mais nous avons eu de la chance, il n’est effectivement rien arrivé. Les plus ivres ont couché dans le salon et sont repartis au réveil… C'est-à-dire… en fin d’après midi suivante quoi.
Moi je me lève un peu plus tôt, et entreprends de ranger la maison. Par Eniripsa, toutes ces bouteilles vides, et tous ces cartons de nourriture, de diou, ah ouai quand même…Héhé !!
Mais ce fut super sympa, finalement, ça m’aura fait oublier qu’aujourd’hui j’ai…
Mince, 30 ans !
Cette pensée me fait courir plus que de raison vers un miroir.
De face, de profil, de dos… Bon en effet rien n’a changé. Peut-être bien un cheveu de couleur bizarre là non ? Ah heu… je n’ai rien dis, il a plus la couleur de la sauce renversée que la couleur blanche…
Après une bonne douche qui me remet les idées en place, je finis de ranger la maison. Le reste des dormeurs se lèvent, et nos amis prennent congés. C’était super, ils reviendront !
Enfin… si on les réinvite gniark gniark…
Mais ouiiiiiiii, on les réinvitera, et volontiers même.
Thorkan me regarde en souriant, les traits cernés de fatigue. Il m’enlace et me flatte d’un « tu es magnifique, même à 30 ans » et affiche un sourire moqueur. Au moins, il m’aime encore^^. Nous sommes dans la cuisine et toujours enlacés. Nos yeux se croisent et il me sourit.
Et là j’ai eu le droit à une tirade dont je me souviendrai toute ma vie.
Il n’a pas fêté que mes 30 ans hier soir.
Il a fêté le fait d’être en vie.
J’étais un peu étonnée d’entendre cela, car oui, bien entendu, nous avons la chance d’être en vie, il aurait pu nous arriver n’importe quoi, mais je trouve étonnant de le fêter, même si on devrait d’ailleurs ! Mais de là à y penser…
Mais lui y avait pensé, et pour une bonne raison : il est malade.
Il ne m’en a jamais rien dit, pour ne pas m’inquiéter. Mais heureusement, ce n’est pas une maladie incurable, seulement nos prochains mois risquent d’être assez pénibles. Nous allons en passer des heures au Temple des urgentistes…
Après le choc et l’effondrement de la nouvelle et de la brutalité avec laquelle il m’avait annoncé les choses, je me ressaisis. Nous en parlons beaucoup, je veux comprendre de quoi il souffre. Et nous ferons face… A deux. Il ne restera pas seul une minute, à ça non je vous le jure… Surtout pas dans ces moments là.
Et effectivement, nous faisons face.
Son état est stable, les docteurs se montrent rassurant, car s’il avait du arriver quelque chose, son état se serait empiré.
C’est le principal.
Après tant pis pour les allers –retours, les projets remis…on verra ça quand tout ira mieux.
Tiens d’ailleurs à propos de projet, je profite de son état de faiblesse pour sournoisement lui reparler d’enfants. Pas très sympa, je lui accorde^^ Mais pour une fois, il ne dit pas non. Il me laisse même entrevoir un espoir, quand tout cela sera fini.
Il doit se faire opérer. Tout se passe plutôt bien, il passe 2 semaines en observation.
Après ce laps de temps, nous rentrons à la maison.
Il est faible, très fatigué, mais c’est normal nous a t-on dit.
Une semaine, 2 semaines, 3 semaines…
Il est toujours aussi fatigué, mais c’est normal parait-il. Quand même, je trouve cela un peu bizarre, tout ce temps de convalescence. Mais bon les médecins connaissent leur boulot, moi je n’entends rien à la médecine.
Que j’ai hâte qu’il se remette sur pieds, je n’ai pas oublié la «promesse » !
4eme semaine : il est de plus en plus fatigué. Nous retournons à l’hôpital, mais les médecins ne trouvent rien d’anormal. Il en a passé pourtant des batteries d’analyses. Je leur fais confiance, mais je suis à moitié rassurée.
L’autre moitié, elle, a vraiment la trouille.
5eme semaine : il va de plus en plus mal. Cette fois nous n’allons pas à l’hôpital, car « rien » ne s’est vraiment passé, il n’a pas perdu connaissance, n’a pas mal. Mais je le trouve tellement pâle et maigre que je refais venir un médecin. Ca ne servira peut-être à rien, mais ça me rassure.
Je m’occupe les mains avec de la vaisselle à faire, surtout pour m’occuper l’esprit. Nous attendons le médecin.
Thorkan dort, tant mieux, je préfère qu’il se repose. Il est long ce médecin.
Ah, non, ça y est, un grattement à la porte, puis un bruit de coup.
J’arrive, j’arrive, j’ai les mains dans le liquide vaisselle !!!
Mais le médecin m’a devancée.
La porte s’ouvre.
Elle est là.
La même, entourée de son halot de lumière.
Blanche, maigre, immobile, la main tendue. Non vers moi, mais vers l’arrière du salon.
Je ne resse
ns rien. Mais absolument rien. Rien, rien, rien. Ni peur, ni panique, ni tristesse, ni choc. Non rien, rien, rien…Vraiment rien.
Je me tourne lentement, Thorkhan est debout derrière moi, le regard vide.
Il avance vers la main tendue.
Alors la NON !!!!!!!!!!!!
Je n’ai rien pu faire à 9 ans, mais cette fois, ce serait différent !!
Je ne LA laisserai pas me prendre Thorkhan. Et si je n’ai pas eu la force de résister il y a 21 ans, cette fois, je l’aurais, car j’ai déjà vécu cela, je sais comment réagir, je ne subis plus l’effet de surprise…
Je fonce sur la porte, et à mon grand soulagement, je ne suis pas paralysée cette fois.
Au contraire, j’ai l’impression de bouger avec une rapidité et une aisance, une rage même hors du commun.
Je le savais, j’ai suffisamment de force pour lutter !!
Je cours à toute vitesse, je vais l’avoir, la foutre dehors, la pousser de toutes mes forces… Oui je me sens forte, résistante, pour Thorkhan, pour moi, pour tout…
Je cours, j’accélère.
Toute magique que soit cette forme, ou disons « extra-ordinaire » dans le sens propre du terme, elle n’en est pas moins visiblement matérielle. Elle peut bruler, elle peut s’écrouler, elle peut succomber sous le choc d’un coup non ? Oui un coup, et tant pis si je la blesse mortellement cette forme, fallait pas venir nous chercher, nous n’avons rien demandé nous !
Je cours toujours, de plus en plus vite, la haine au ventre, une détermination que je n’avais jamais ressentie.
Je cours maintenant au maximum de mes possibilités. Oui, cette fois, je gagnerai !
Et je réalise…
Que cela fait des minutes entières que je cours vers la porte, alors que je suis à côté.
Cela fait des minutes que je cours….sur place
Le halo s’intensifie
Thorkhan franchit le seuil, sa main entrelaçant celle de la forme.
Le halo de lumière disparait brutalement, la porte se referme.
Je suis seule…
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