Comme nous l'avions annoncé en erratum dans l'édition de la semaine dernière, il reste encore un dernier épisode à la série des Chroniques de Lavar pour que celle-ci soit close. Le voici donc, et profitez-en, car Lord Tiberion a mis tout l'art de sa plume dans cette histoire afin qu'elle vous plaise.
Nous courrions plein est sans savoir où nous allions, sans avoir d’avenir certain. La seule chose sûre, c’était que le début de soleil en Cania abîmait nos yeux et que la chaleur nous étouffait. Le petit matin était encore rouge et il ne fut perturbé que par une forte pluie qui, à défaut d’amoindrir la chaleur, nous enferma dans un environnement humide et chaud. Cet endroit eut été supportable si avec son côté nauséabond, il n’avait pas été légèrement pentu. Car Bonta était construite sur des contreforts. Ainsi, l’eau s’écoulait vers nous. Cela transformait la terre en un espèce de marais. Mais surtout, tout le sang coulé devant les Murs Blancs s’écoulait vers nous en petites rivières.
Aussi, lorsque je me retournais, j’avais l’impression de voir une marée rouge à notre poursuite. Une peur irrationnelle me prit. En cette marée, je voyais le visage de mes victimes me poursuivant. Notre propre folie qui venait nous demander des comptes pour le massacre commis que nous fuyions en même temps que l’armée bontarienne qui traquait les restes éparpillés de la force d’Hyrkul. Cette peur me fit forcer le pas. Je refusais de m’arrêter sachant ces marées malsaines et vengeresses derrière moi. Et mes gars semblaient assez d’accord. Donc, pas d’arrêt. Nous ne nous arrêtions pas de marcher dans ces terres hostiles. Cania toute entière semblait nous rejeter, nous poursuivre de sa furie pour nous achever à la première inattention. Cela dura toute la journée.
Mais lorsque le soleil déclina, la fureur céleste sembla se calmer. L’eau s’évapora ou rentra très vite dans la terre, et l’obscurité prit la place de la rouge lumière du soleil. Je décidais de monter le bivouac. Etrangement, nous étions tous des déserteurs, mais la hiérarchie du manipule n’était pas brisée, et l’ordre régnait. Il semblait que ce fut plus la peur que le charisme des dirigeants qui en soit la cause. Nous étions réunis autour de plusieurs feux, non loin de la forêt des abraknydes, dans de vains efforts pour se remonter le moral ou rire. Toute bonne ambiance était fausse. Soudain, un hurlement se fit entendre au sud, dans la forêt. Ce hurlement, je le reconnaissais. Cette voix à peine humaine..
- C’est Hyrkul...
Des éclairs de lumière jaillirent du ciel noir pour s’abattre dans la forêt alors que les cris continuaient. Nous tremblions tous. Ces hurlements traduisaient une terreur sans nom. Et cette terreur, nous la connaissions. Je pensais que cette foudre blanche était une légende, mais pas de doute. Seul Ulgrude pouvait mettre en danger Hyrkul au point de le terrifier à ce point. Je regardais un moment mes chefs d’état major, et finis par prendre la décision la plus sage pour couper court aux néfastes élucubrations du soldat moyen.
- Extinction des feux ! Demain sera une dure journée, chacun sa tente !
En 10 minutes, le camp était calme et l'on n'entendait que la marche des sentinelles. Je m’endormis péniblement.Cette nuit fut désagréable. J’ignorais pourquoi, mais j’avais très mal dormi, bougeant sans cesse sur ma couche. Aussi, je fus presque content d’entendre les trompettes du réveil le matin suivant. Je passais ma main sur mon visage couvert de sueur... Sans le reconnaître. J’avais l’impression d’avoir des joues plus fines, un visage plus gracieux et aigu. Mes oreilles avaient poussé jusqu’à devenir pointues. Mes doigts étaient plein d’une agilité nouvelle. L’étonnement se peignait sur mon visage et dans mes pensées. Comment cela se faisait-il ?
Je sortis en trombe de ma tente pour découvrir que chacun de mes hommes avait subit des altérations. Certains voyaient leurs pilosité se développer, d’autres avaient rapetissé et avaient de grandes ailes. Plus encore, nous sentions tous la magie couler dans nos veines. La vérité me frappa d’un coup. C’était évident. Durant toute nos années nous avions juré allégeance à Rushu aveuglément, sans jamais croire à autre chose. Et cette foi nous avait transformés, ou plutôt nous avait empêchés de nous transformer. Et maintenant que nous avions quitté et trahi Rushu, l’influence des 12 dieux se renforçait sur nous, inscrivait dans nos corps les stigmates que nous devrions tous avoir. Et il semblait que j'étais né sous l’égide de Crâ avant d’aller sur la voie brumairienne. Raval nous accordait la liberté suprême de le reconnaître en tant que guide, mais de choisir notre dieu. Cela nous donnait un avenir, la possibilité de nous fondre parmi la masse pour vivre une nouvelle vie. Cela ôtait un fardeau de nos cœurs déjà lourds. Plus la peine de se soucier de nos visages vides et blancs forgés à l’effigie de celui que nous adorions.Ce fut l’âme légère que je pris la parole devant mon manipule.
- Regardez-vous ! C’est là, la meilleure preuve de notre... absolution. Ce que nous avons fait était peut-être traîtrise pour Rushu, mais service rendu à toutes les autres espèces vivantes ! Pour cela, les dieux vous ont accordé la chance de vivre une vie nouvelle. Alors, débarrassez-vous de vos noirs uniformes. Déchirez vos drapeaux, car Raval cherche notre foi au fond de notre cœur. Soyez et marchez léger, car la route vers l’est est encore longue. Mais je promet à chacun d’entre vous une tournée générale à la cité d’Astrub ! En marche, compagnons !
Je regardais mes gars crier leur joie en levant le camp. Pendant ce temps, je regardais le monde d’un œil nouveau. La noirceur de Brâkmar me semblait déjà loin. Je touchais machinalement ces nouvelles oreilles pointues et regardais vers l’est. Mes gars étaient désormais en colonne derrière moi, tous vêtus de chemises et de braies colorées. Je venais de faire une croix définitive sur ma famille qui vivait à Sidimote. Mais je venais aussi de devenir le père de 150 jeunes hommes à qui il faudrait apprendre à vivre.
- En route les enfants, la vie n’attend pas. Et ce serait fâcheux qu’on accumule plus encore le retard qu’on a déjà !
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